Espérance : Dixième Méditation

 

L’ESPERANCE   INVINCIBLE   :   « Si Scires Donum Dei… »


Puisons l’espérance dans le sacrifice de la Croix

et dans la sainte communion.

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Abbé Régis de CACQUERAY



Si scires donum Dei… Si tu connaissais le don de Dieu !
(Jn, IV, 10)


A vingt et un siècles de distance, ces paroles de Notre Seigneur Jésus-Christ résonnent dans notre âme avec la même acuité, désireuses de capter notre attention, si souvent victime de cette terrifiante dissipation qui nous rend oublieux de l’éternité se rapprochant de jour en jour. Elles piquent notre curiosité : quel est donc ce don que Dieu veut faire à chacun d’entre nous ? La connaissance des mystères de notre Foi enseignés par le catéchisme ne suffit pas pour y répondre. Il faut en faire une expérience personnelle. Nous conservons tous dans la mémoire de notre cœur ces heures choisies où la grâce est venue nous solliciter plus intimement : telle âme placée sur notre route, telle lecture, telle circonstance, tel lieu ont été les instruments de son opération. Avons-nous su nous y arrêter, être attentif comme la Samaritaine devant Celui qui l’entretenait, assis sur le puits de Jacob ?

Sonder ce don divin, c’est alors faire jaillir de notre âme une espérance extraordinaire : celle de la connaissance expérimentale de l’amour de Dieu dès ici-bas, sans attendre la vision béatifique. Alors même que le Christ, au cours de Sa vie terrestre, a voulu cacher Sa divinité à tous ceux qu’Il rencontrait jusqu’aux docteurs d’Israël, voici qu’Il se révèle comme jamais à une pauvre femme à l’esprit enténébré mais qui n’a pas refusé de converser avec Lui : « - Je sais que le Messie vient, celui qu’on appelle le Christ ; lorsque celui-là sera venu, Il nous annoncera toutes choses. – Jésus lui dit : Ego sum, c’est Moi ! » (Jn IV, 25-26)

Ne soyons pas de ces âmes timorées qui admirent à distance : aujourd’hui comme hier, Notre Seigneur ne cesse de renouveler Son invitation à chacun d’entre nous.

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Aimer c’est tout donner et se donner soi-même (1). Aimer c’est s’oublier. Ce mouvement qui sort du fond de l’être et qui pousse au don de soi gratuit, total, inconditionnel trouve sa source dans la Très Sainte Trinité (2). L’esprit humain reste cependant dérouté par la manière dont Dieu agit car Il ne donne pas comme le monde donne (Jn XIV, 27) et Sa conduite reste pleine de mystères pour nos esprits trop souvent bornés.

Voici que l’homme ruine le plan d’amour de Son Créateur par un acte d’ingrate indépendance et aussitôt Celui-ci lui promet un Sauveur pour réparer ce qu’il avait détruit (3). Pourtant plusieurs siècles s’écoulent, semblant rendre cette attente interminable pour l’humanité mais non pour Lui devant qui un seul jour est comme mille ans (Isaïe). Car cette lenteur ne Lui est pas imputable : ne fallait-il pas purifier et préparer les âmes à recevoir le désiré des collines éternelles ?

En se revêtant de notre humanité, Notre Seigneur Jésus-Christ offrait à Dieu, dans la moindre de Ses actions, une réparation infinie pour les offenses des hommes rebelles à Son Père. Cela ne Lui suffit pas, Il voulut aller jusqu’à mourir sur une croix, au milieu des opprobres et des injures, repoussé du peuple qu’Il s’était choisi entre tous. Il s’anéantit jusqu’à l’extrême, in finem dilexit (Jn XIII, 1) : qui pourrait comprendre la folie de l’amour qui tenaille le Cœur de Dieu ? Cet amour est un feu dévorant qui a consumé toute l’humanité du Christ. L’opprobre est alors devenu trophée. La Croix, autrefois objet d’infamie et de honte est désormais signe d’honneur et de gloire dans toutes les sociétés humaines, même les plus hostiles à Son règne, et il en sera ainsi pour toujours.

Dieu, dont la félicité ne dépend de personne, s’abaisse jusqu’à mendier l’amour de Sa créature qui ne pourrait subsister un seul instant sans Lui. Puis lorsqu’Il voit une âme s’entrouvrir, se rendre attentive à Ses avances, Il y plonge le glaive de Sa grâce pour forer plus avant, dégager les plaies, les soigner, inspirer la nostalgie d’une vie plus haute, l’attirer vers l’adoration, en esprit et en vérité, qui désaltère l’âme en la plongeant dans l’infini de Dieu.

Non content d’accomplir tous ces témoignages d’amour à un temps donné de l’histoire des hommes, l’ingéniosité de Sa charité lui fait trouver le moyen de renouveler Ses actes pour les mettre à la portée de toutes les générations, pour rester avec nous jusqu’à la fin des temps. Car le bonheur de notre Dieu est de se trouver parmi les enfants des hommes. L’invention de l’Eucharistie pour venir habiter en nous-mêmes n’est-il pas le signe le plus confondant de Son amour ?

Et Dieu guette notre confiance : « Ce que je trouve de plus extraordinaire, c’est qu’Il ait réalisé ce prodige en se disant : "Ils me croiront". Il doit nous admirer de prêter foi à ce mystère » remarquait non sans originalité une sœur de sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus (4). Oui, quel mystère que ce Dieu tout-puissant, Créateur du ciel et de la terre qui se fait si petit par amour et ne dévoile la puissance de cet amour qu’à l’âme qui consent à se livrer à Lui ! S’Il s’incline à notre portée c’est pour nous élever jusqu’à Lui, nous dégager des visions tellement étroites de notre esprit pour se faire connaître tel qu’Il est : Deus caritas est, Dieu est charité (1 Jn, IV,16).

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Contempler la triple expression de cette charité doit susciter ou ressusciter en nous la confiance et l’espérance envers un Dieu qui a démontré si profondément Son amour pour nous. L’amour ne se paie qu’avec l’amour. Comment continuer à se défier lorsqu’on se sait aimer à ce point ? Il nous faut pour cela demander la Sagesse, celle qui ne se laisse pas ébranler par les épreuves ou la prospérité des méchants.

Dieu a rétabli l’ordre par la Croix et l’espérance est la fille de l’épreuve (Rom V, 3-4), elle nous dégage des attraits trompeurs de la terre. Certes « la souffrance est et restera toujours la souffrance, c’est-à-dire une violence faite à notre nature. Dieu Lui-même ne peut pas changer cela … En souffrant avec nous et pour nous, Jésus a fait rentrer cette opposition dans le mouvement, la souffrance est devenue chemin mais c’est ‘per accidens’. Essentiellement et prise en elle-même, elle reste un contraire, un ennemi. C’est seulement quand on a engagé la bataille contre elle, quand on l’a vaincue, quand on a été plus fort qu’elle en la portant, qu’elle devient un instrument et un serviteur » (5).

Cette lutte décisive, le Christ l’a menée sur le Golgotha et Il en est sorti victorieux. Il veut nous communiquer les fruits de Sa victoire à travers le renouvellement non sanglant de Son sacrifice qui se réalise tous les jours sur nos autels.

Bien plus, impatient de s’unir à nous en plénitude, Il a trouvé dans Son incomparable amour l’ingénieux moyen de nous transmettre cette sagesse, cet état d’esprit si au-dessus de nos conceptions naturelles et humaines : s’offrir à nous, au cœur du sacrifice de la sainte messe, dans l’Eucharistie. Si, tel un joyau, elle se trouve enchâssée au cœur de la sainte messe, c’est parce que Dieu veut nous montrer que le sacrifice est l’expression idoine de nos rapports avec Lui. Car « l’état auquel Il se réduit dans la sainte Eucharistie, nécessaire à Ses besoins de tendresse, l’établit Lui-même dans la forme de sainteté que doit revêtir notre vie » (6). Par la manière dont Il s’abandonne à Sa créature dans la sainte communion, Il nous apprend l’indifférence aux biens de ce monde. Réellement et substantiellement présent dans la sainte Hostie, non sous Sa propre apparence mais sous celle du pain et du vin, Il se dérobe à l’impression de nos sens pour que ceux-ci apprennent à dépasser le charme illusoire des apparences. Il nous communique la vie divine par ce sacrement pour produire en notre âme les mêmes effets que la nourriture dans le corps : la faire croître jusqu’à l’âge de la maturité. Nous croyons L’absorber et c’est Lui qui nous transforme pour nous élever et nous diviniser.

Tous ces témoignages sont donnés en surabondance pour ancrer dans notre âme cette certitude d’être aimé de Dieu et Lui faire confiance. C’est cette confiance qui donne la force de triompher du monde et de la chair.

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Lorsque la Samaritaine repartit du puits de Jacob, elle avait sans doute oublié sa préoccupation du début : remplir sa cruche d’eau. C’était de peu d’importance maintenant. Arrivée en marchant, elle repartait en courant pour communiquer sa joie autour d’elle.

Lorsque nous nous rendons devant le tabernacle de l’autel, Notre Seigneur Jésus-Christ nous attend comme Il attendait la Samaritaine à Sichar. Certes, Il se dérobe à nos yeux de chair mais c’est pour mieux se laisser trouver par notre œil intérieur. De son apparence extérieure, Il n’a voulu conserver, bien visible, que la Croix placée au-dessus du tabernacle pour nous rappeler que ce n’est pas pour rire qu’Il nous a aimé (7) et qu’elle est l’unique voie pour entrer dans Son intimité. Mais Il nous offre bien plus qu’à la Samaritaine puisqu’Il se donne aujourd’hui en nourriture à notre âme par la sainte communion. Ce trésor mis à notre portée est le plus beau motif d’espérance car notre Dieu caché dans l’hostie inaugure sur la terre Sa béatitude au centre de notre misère.

Saurons-nous recevoir le don de Dieu comme celle qui, au soir de sa vie sur son lit d’agonie, s’écriait : « Oh mon Dieu ! Vous avez dépassé mon attente ! » (8) ? 

Avec ma bénédiction...

 

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(1) - Sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus
(2) - Père Achille Degeest, o.f.m.
(3) - « Yahweh Dieu dit au serpent (…) : je mettrai une inimitié entre toi et la femme, entre ta postérité et sa postérité ; celle-ci te meurtrira à la tête, et tu la meurtriras au talon ». (Gen, III, 14-15).
(4) - Sœur Marie du Sacré-Cœur, sœur aînée et marraine de sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus, Père Piat).
(5) - Dom Augustin Guillerand, chartreux
(6) - Madame Cécile Bruyère, première abbesse de Sainte-Cécile
(7) - Notre Seigneur à sainte Angèle de Foligno.
(8) - Sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus

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