Espérance : Neuvième Méditation

 

L’ESPERANCE  INVINCIBLE  « Notre Dame, notre Espérance... »
___________________________________



Abbé Régis de CACQUERAY

 


Le temps de l’Avent est une image de notre vie : nous cheminons à l’image du peuple d’Israël vers la Terre Promise, celle du Ciel. La liturgie du moment nous rappelle que « Tout ce qui est dans les Ecritures est écrit pour notre instruction : afin que, par la patience et la consolation que donnent les Ecritures, nous possédions l’Espérance » (1) Or, que voyons-nous dans l’Ancien Testament ? Des temps de ferveur et de relâchement, des épreuves et des consolations qui se succèdent. Les prophéties, telles les esquisses d’un bel ouvrage, se déploient au bon plaisir de Dieu pour préparer l’homme au chef d’œuvre de la Rédemption.


Toutes ces leçons doivent « pénétrer de clarté la nuit de notre cœur » (2) et nous faire prendre conscience que le principal message que Dieu nous délivre par les Saintes Ecritures est celui de l’Espérance et de la confiance en Lui : l’histoire entre Dieu et les hommes est celle de l’amour infini qui conduit le Créateur à rechercher inlassablement la créature qui s’est détournée de Lui à l’aurore du monde… Mais force est de constater que nous restons bien peu sensible à cet appel à la confiance.

Le temps de Noël vient nous rappeler à bon escient que le Seigneur Tout-Puissant, Dieu des armées, Créateur du ciel et de la terre, choisit de venir à nous par l’intermédiaire d’une femme que toutes les générations disent bienheureuse (Luc I, 48). Présentée par une mère, cette Espérance peut-elle encore rester inaccessible ?

*
*        *

Il est vrai que notre tentation est de nous laisser submerger par l’appréhension de notre misère car notre expérience commune, à nous tous qui sommes marqués par la faute originelle, est bien celle du péché. De même qu’Adam et Eve rougissaient dans le Jardin d’Eden après avoir dérobé et mangé le fruit interdit, nous connaissons tous la confusion et la honte que nous inspire notre inconduite, nos dérèglements, nos écarts de la Volonté de Dieu.

Nous avons beaucoup de mal à accepter de rentrer en nous-même, à quitter l’étourdissement, l’éblouissement du monde, pour nous considérer avec lucidité sous le regard de Dieu. Nos examens de conscience nous révèlent si peu de nous-mêmes, si peu de la gravité de nos fautes. Cette connaissance, cette compréhension du péché, cette expérience intime, intérieure, d’avoir rompu avec Dieu est très douloureuse mais ô combien nécessaire. Ce n’est qu’après avoir pris conscience de ce mal du péché qui suinte de toute notre âme, que nous pouvons prononcer l’Hymne des Laudes que la liturgie met sur nos lèvres :

O Christ, ô Soleil de Justice, dissipez dès à présent les ténèbres de nos âmes ;
Que l’éclat des vertus renaisse, tandis que Vous rendez le jour à la terre.
Nous accordant un temps propice, donnez-nous aussi un cœur repentant.
Que Votre bonté convertisse ceux qu’a supportés Votre longue indulgence.


Mais cette lumière sur nous-mêmes que nous demandons par ces paroles sacrées, saurons-nous bien l’accueillir ? Comment acquérir cette lucidité de conscience sans pour autant tomber dans le découragement ? Comment ne pas fuir le malaise si pénible, conséquence de nos infidélités à la grâce, et ne pas s’évader dans l’ivresse de l’action ? Comment, enfin, sortir de cet engourdissement intérieur que suscite la vision de notre impuissance à nous redresser par nous-même ?


Marie… ce nom à lui seul nous redonne l’Espérance.

Rappelons-nous ces paroles de Jérémie : « Je t’ai aimé d’un amour éternel, c’est pourquoi dans ma pitié, je t’ai attiré à moi » (Jer. XXXI, 13). Oui, c’est toujours Dieu qui fait le premier pas vers nous et Sa démarche initiale consiste à nous faire prendre conscience de notre indigence. Le péché s’inscrit dans l’économie divine comme instrument pour nous rapprocher de Celui que nous avons repoussé. O felix culpa ! (3).

C’est à la Vierge Marie qu’il nous faut demander d’éduquer notre âme à ce redressement de notre conscience car c’est de son fils qu’elle reçut cette vocation sublime de maternité spirituelle quand, sur le Calvaire, il déposa dans son Cœur immaculé les aptitudes pour l’accomplir : « Femme, voici ton fils » dit-il en désignant l’apôtre Jean. C’est par elle que Dieu a voulu passer pour se révéler à nous dans Son intimité. Elle nous apprend que la souffrance, conséquence du péché, est en réalité une invite que Dieu nous fait à venir nous unir à Lui. Le péché, à condition d’être regretté, n’est plus un obstacle : il devient le moyen d’union à Dieu lorsque nous espérons en Sa miséricorde.

L’âme, avant l’Incarnation, ne pouvait appréhender la divinité que dans Sa grandeur souveraine, les éclairs et les coups de tonnerre. Lorsque la plénitude des temps fut accomplie, « la grâce de Dieu notre Sauveur s’est manifestée à tous les hommes » (Paul à Tite II, 11), par cette
« Vierge, où toute grâce abonde,
Décrétée par dits impériaults
La plus belle qui jamais fut au monde
» (4)

Nouvelle Esther, elle franchit toutes les portes jusqu’au trône du Dieu tout-puissant. Et le Dieu tout-puissant, tel qu’Il se montrait aux hommes de l’Ancien Testament, devient le Dieu de douceur quand Il contemple la Vierge Marie. A elle, Il donne en apanage la perle de Son Royaume : la miséricorde. Posant Son sceptre sur son cou, Il lui donne un baiser (cf. Esther VII, 15). Car si le Christ est la tête du Corps Mystique, les grâces acquises pour les membres de ce Corps passent par le cou, image de Notre Dame. En désignant Marie comme ambassadrice de Sa venue, Dieu a voulu nous apprendre à ne plus vivre dans la crainte servile.


Marie… ce nom à lui seul nous redonne l’Espérance.

L’enfant qui regarde sa mère agir sait ce qu’il doit faire lui-même car elle est sa référence. De même, dans sa vie pourtant si discrète, la Très Sainte Vierge nous donne bien des exemples de cette Espérance qu’elle a portée en elle et pratiquée :

- Saisie par la façon dont sa cousine Elisabeth s’ouvre à l’inspiration de l’Esprit Saint et salue en elle la Mère de Dieu, Marie émerveillée répond que cet honneur lui est échu parce qu’elle n’a jamais douté que le Seigneur tiendrait la promesse faite à son peuple. (cf. Luc I, 55).

- Eprouvée par le trouble de saint Joseph découvrant les signes à venir de son enfantement, Elle s’abandonne à Dieu, se souvenant des paroles d’Isaïe : « Dans le silence et dans l’espérance sera votre force » (Is. XXX, 15), ne voulant pas gêner l’action mystérieuse de la grâce par des initiatives désordonnées.

- Rebutée en apparence par son fils aux noces de Cana, elle ne perd rien de son assurance et obtient, de manière anticipée, la manifestation du Royaume des Cieux parmi les hommes.

- Anéantie sur le Calvaire, elle n’en est pas moins debout aux pieds de la Croix, spes unica (5), notre unique Espérance, comme témoin de la victoire définitive qui s’accomplit à cette heure tragique sur le monde et sur le péché.


Marie… ce nom à lui seul nous redonne l’Espérance.


La Très Sainte Vierge n’est pas seulement modèle d’Espérance, elle est notre Espérance. C’est une grâce de conversion d’être invitée à partager l’intimité simple et habituelle de son cœur où elle nous invite à redevenir des petits enfants. Elle infuse alors ses propres mouvements intimes dans l’âme docile, lui communique quelque chose de cette droiture intérieure, ouvre l’âme repliée sur elle-même, allège celle qui s’est laissée appesantir par les attraits terrestres, libère la prisonnière de son égoïsme en orientant son regard vers Dieu et communique à tout moment son Espérance Invincible en la toute-puissance divine.

Car il est un danger pour l’âme assoiffée de Dieu : celui d’appuyer son Espérance sur ses propres vertus ou sur le seul élan de son enthousiasme. A l’instar du saint homme Job, Dieu peut permettre des épreuves, des échecs, des abandons où l’âme fait une expérience plus profonde de son impuissance, expérimentant avec plus d’intensité les paroles du Divin Maître nous rappelant que nous sommes des serviteurs inutiles.

Comme l’enfant a le réflexe de courir vers sa mère, l’âme crie, soupire, gémit vers sa Mère de miséricorde pour être délivrée des rigueurs de cette vallée de larmes (6). Heureuse celle qui peut trouver en sa mère de la terre une ébauche de cette maternité qui prépare à la vie du Ciel ! Mais heureuse aussi celle qui découvre en Marie la maternité dont elle a peu connu l’image terrestre !

Il existe plusieurs degrés d’intimité d’un enfant avec sa mère mais celui qui est sans doute le plus grand est l’époque où il ne fait qu’un avec elle, in ipsa, en elle. De la même manière, Marie façonne jour après jour son enfant, pour le faire correspondre aux paroles de Notre Seigneur Jésus Christ : « Si vous ne redevenez comme des petits enfants, vous ne rentrerez pas dans le Royaume des Cieux » (Mat., 18, 3)

*
*        *

Sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus, purifiée par la maladie et la nuit de la Foi au soir de sa vie, écrivit ses ultimes mots d’une main tremblante : « O Marie, si j’étais la Reine du Ciel et que vous soyez Thérèse, je voudrais être Thérèse afin que vous soyez la Reine du Ciel ». Elle avait, quelques jours plus tôt confié à ses sœurs : « La Sainte Vierge a eu bien moins de chance que nous, puisqu’elle n’a pas eu de Sainte Vierge à aimer, et c’est une telle douceur de plus pour nous et une telle douceur de moins pour elle ».

Voilà notre privilège mais en avons-nous conscience ? Puissions-nous vivre si unie à elle que chaque épreuve de la vie soit une occasion de lui témoigner notre pleine confiance en sa maternelle intercession ainsi que le faisait Sainte Thérèse Couderc : « O Marie, Vous qui avez arrangé les affaires de tous les siècles, arrangez encore celle-ci ! »

Avec ma bénédiction...


—————————
(1) - Capitule des Laudes du 2ème dimanche de l’Avent.
(2) - Collecte du 3ème dimanche de l’Avent
(3) - Exultet, liturgie de la sainte nuit de Pâques
(4) - Catherine d’Amboise, Chant Royal de La plus belle qui jamais fut au monde.
(5) - Hymne des Vêpres du Temps de la Passion
(6) - Salve Regina…

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :