Espérance : Onzième méditation

 
L’ESPERANCE  INVINCIBLE 

Personne ne peut nous enlever notre espérance !
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Abbé Régis de CACQUERAY


Crescite !
Croissez !
(Gen. I, 28)


Dieu a inscrit une loi en toute créature vivante : celle de grandir jusqu’à sa pleine maturité. Lorsque l’homme désire obtenir de la nature des résultats spécialement beaux et abondants, il intervient lui-même par l’aide qu’il lui apporte. C’est ainsi que le tronc de l’arbrisseau, s’il est soutenu par un tuteur, peut mieux résister à l’assaut de vents trop forts pour ses jeunes racines. Plus tard, la taille opérée sur ses branches le débarrassera des rameaux superflus pour favoriser sa croissance en façonnant sa forme définitive.

Dans l’ordre de la grâce, une réalité similaire s’opère dans l’âme lorsque le divin jardinier (Jn. XX, 15), Notre Seigneur Jésus-Christ, entreprend de la cultiver. Chaque année au temps du Carême, l’Eglise, Son épouse mystique, nous invite à nous soumettre volontairement à ce travail d’élagage. La liturgie sacrée, tel un tuteur, soutient notre élan tout au long de ce labeur où il faut que Jésus-Christ croisse et que nous diminuions (Jn. III, 30). L’âme se dégage alors peu à peu de ses scories et son espérance en la vie à venir du Ciel se fait plus limpide, plus forte, source de paix et de joie.

Mais, à côté de ce temps de dépouillement miséricordieusement accordé, le divin jardinier aime parfois venir visiter la vigne de notre âme comme un voleur, c’est-à-dire à l’improviste. Nos dispositions les plus intimes sont alors mises à nu et notre ferveur n’est pas toujours au rendez-vous... Serait-ce parce que nous craignons de voir sombrer notre espérance ? Aurions-nous donc oublié que personne ne peut nous l’enlever ?


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Contra Spem in Spem

L’espérance mise à l’épreuve : Espérer contre toute espérance

Il est rare que l’épreuve ne nous plonge pas dans le désarroi. Notre âme est meurtrie, les joies passées qui la dilataient semblent devenues irréelles. Oui, elles ont existé... mais c’était pour un temps si court, si passager, il y a déjà si longtemps. La main cachée qui nous soutenait a desserré son étreinte. Un à un nos doigts ont senti cet appui glisser, nous quitter. Et nous voilà seuls.

Pourtant Notre Seigneur Jésus-Christ nous a mis en garde : « Je ne suis pas venu apporter la paix mais le glaive » (Lc. XII, 51), ce glaive qui vient harponner notre espérance jusqu’au cœur. La sensibilité mise à vif n’est plus capable de nous servir. Il nous faut alors recourir au raisonnement, jugé plus austère, pour parvenir à dominer cette sensation affreuse de naufrage intérieur.

Car si Dieu nous demande de croire fermement en la béatitude éternelle, Il peut paradoxalement juger quelquefois meilleur de faire disparaître, pour un temps plus ou moins long, les moyens habituellement mis à notre disposition pour nous soutenir dans notre espérance. Or, si nous parvenons encore à concevoir d’être privés de la santé, des biens temporels, voire de l’affection d’un être cher, la privation des biens purement spirituels – comme l’enseignement de la Foi, les sacrements, le soutien spirituel – nous déroute complètement car ces moyens spirituels sont normalement les moyens par excellence qui nous permettent de nous unir à Dieu. Deus meus, Deus meus, ut quid dereliquisti me ? (Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’avez-Vous abandonné ?) (Mc, XV, 34).

Quelle sera alors notre réaction ? Celle de nous voir environnés de limites dans la lumière crucifiante de l’épreuve. Les consolations terrestres viennent nous solliciter au milieu de notre détresse : à quoi bon y résister comme autrefois ? Et nous sondons la profondeur de l’attache à nos propres vues, jusque dans les choses bonnes et sanctifiantes, le jour où Dieu décide de travailler notre perfection par Lui-même et d’une manière secrète et inconnue (1). Mes pensées ne sont pas vos pensées, vos voies ne sont pas Mes voies dit le Seigneur (Is. LV, 8).

Le sacrement de baptême que nous avons reçu nous confère une vocation de choix, mais celle-ci ne nous met pas à l’abri des réactions si naturelles de lassitude, de révolte et de découragement.

De telles épreuves, et elles se rencontrent dans toute vie, nous invitent à revenir aux sources de la destinée particulière que nous avons entrevue le jour de notre conversion à Dieu, où la grâce est entrée à flots dans notre âme pour nous appeler à la vie divine ou nous faire croître d’une façon toute particulière dans cette vie. Rares sont les âmes qui se convertissent d’un seul coup et sans se reprendre jamais. C’est jour après jour que nous devons offrir à Dieu nos petits efforts pour correspondre à Son travail dans notre âme. Au départ, nous étions pleins de générosité... mais l’humble labeur quotidien – que nous jugeons sans éclat et plein d’ennui – est venu, tel la vague sur le rocher, entreprendre l’érosion de notre ferveur.

En nous plaçant dans ces conditions dénudantes, Dieu nous demande de dépasser cette vision de la vie intérieure qui, somme toute, est encore bien imprégnée de notre « moi ». Repliés sur nous-mêmes, nous contemplons notre souffrance au lieu de nous interroger : « Comment Dieu considère-t-Il cette épreuve sur la route que je dois emprunter pour Le rejoindre dans l’éternité ? Est-ce un obstacle ou, au contraire, une invite à suivre telle route particulière ? ».

Ce détachement que Dieu nous demande peut atteindre à des degrés que nous ne soupçonnons pas. Il peut, en effet, y avoir une attache cachée à notre vertu lorsque, sans nous l’avouer vraiment, nous la considérons comme étant d’abord le fruit de nos efforts généreux. Une forme subtile d’avarice spirituelle nous pousse alors à vouloir préserver ce trésor – en fuyant les occasions variées où Dieu nous convie à Le retrouver derrière l’écorce des événements de la vie ordinaire – de peur de mettre notre vie spirituelle en danger. J’ai dépouillé ma tunique, comment la revêtirai-je à nouveau ? (Cant. V, 3). Or nous ne nous revêtirons de Jésus-Christ qu’en proportion de ce que nous aurons déposé de nous-même. Là est la véritable abnégation, là est la véritable espérance (Im. LVI, 4).

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Purifiée, notre espérance est invincible

L’amour de Dieu qui nous a attirés jusqu’au jour béni de notre conversion est toujours le même à l’heure de la tribulation et de la tentation. Nous nous tournons dans tous les sens tel le roseau agité par le vent. Dieu, Lui, ne change pas. La liturgie du Premier Dimanche de Carême insiste sur cette idée en répétant à plusieurs reprises le verset du psaume 90 : Scuto circumdabit te veritas ejus (sa fidélité est un bouclier, une cuirasse).

Cette pensée nous aide à modifier l’orientation de notre regard en le ramenant de nous-mêmes vers Dieu. Savoir envisager les événements de notre vie comme Dieu qui nous voit déjà dans l’éternité procure l’équilibre et la stabilité que nous ne trouverons nulle part ailleurs. Ce regard de foi qui simplifie notre âme rend à toutes choses leur grandeur et leur beauté. Notre-Seigneur nous le dit par la bouche de l’Apôtre des nations : Vous n’êtes pas à l’étroit dans notre cœur, c’est dans le vôtre qu’est l’étroitesse (II Cor. VI, 12).

C’est pourquoi il nous est utile d’expérimenter de temps à autre la profondeur de notre impuissance pour enter plus solidement notre espérance en notre Père du Ciel. Et lorsque le Seigneur vient nous visiter avec Sa Croix, il attend que nous Lui ouvrions la porte de notre âme le plus tôt possible. Nous vous exhortons à ne pas recevoir la grâce de Dieu en vain (Cor. VI, 1). Si ce travail n’est pas fait ici-bas, il le sera dans le purgatoire, mais nous aurons fait attendre le Désiré des collines éternelles.

Que valent vraiment ces impressions de révolte ? Le véritable amour ne s’établit pas dans la sensibilité mais dans la volonté. Et que penser de cette sensation d’isolement suscitée par l’épreuve capable de nous plonger dans le désespoir ? Lorsque Dieu nous éprouve, Il nous mène certes au désert, mais cette solitude est habitée et « Il prend plaisir à confondre l’inquiétude et la méfiance de notre âme » (1). Si Lui-même y a séjourné pendant quarante jours, n’est-ce pas pour nous dire qu’Il s’y trouve et nous attirer encore à Lui ?

Cet oubli de la présence de Dieu joint à la peur d’être oubliés de Lui sont les principaux obstacles à la montée de l’espérance dans notre âme. Or, nous pouvons toujours puiser dans la vie de Jésus-Christ ou de la Vierge Marie des exemples susceptibles d’identifier notre épreuve du moment avec celles de leur propre vie, et nous apporter la consolation de la participation à leurs mérites. Nous apprenons ainsi, lorsque les moyens humains viennent à manquer, à reconnaître combien grande est la puissance de la grâce. Si nous sommes parfois dépouillés des appuis terrestres, nous savons que la grâce ne nous manquera jamais.

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Lorsque Dieu permet que nous soyons purifiés dans notre espérance c’est parce que, comme saint Pierre sur le Thabor, nous avons tous ce penchant déconcertant à vouloir nous arrêter en cours de route pour y planter notre tente. Or, entre le Thabor et le Ciel, se place le Calvaire.

Dieu est exigeant dans Son amour. Il ne veut pas que nous nous retournions vers les joies d’autrefois lorsqu’elles sont passées. C’est la raison pour laquelle il interdit à la femme de Loth de regarder en arrière la ville en flammes. Bravant l’interdiction divine, elle se trouva figée en statue de sel car elle n’avait pas cru Dieu capable de susciter de nouvelles joies sur les ruines de ses illusions fumantes, des joies plus élevées et plus proches du seul but : le Ciel.

Mais là n’est pas l’essentiel. Il importe surtout que nous nous rendions disponibles à l’action de la grâce, sans vaine sollicitude : Cherchez donc avant tout le Royaume de Dieu et sa Justice, et tout le reste vous sera donné par surcroît. La grâce est la garante de notre ferme espérance, bien plus que les instruments qu’elle peut se choisir. En définitive, il n’est pas trop d’une vie pour faire retrouver à notre âme l’espérance perdue, cette espérance qui fait dire à saint Jean : C’est le Seigneur ! à tous les événements de l’existence, jusqu’à l’heure suprême de la divine rencontre.

Avec ma bénédiction...



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(1) - Père de Caussade, L’Abandon à la divine Providence.


– ANNEXE –
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ACTE  DE  CONFIANCE  EN  DIEU
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Bienheureux Claude de LA COLOMBIERE
(1641-1682)


Mon Dieu, je suis si persuadé que Vous veillez sur ceux qui espèrent en Vous, et qu’on ne peut manquer de rien quand on attend de Vous toutes choses, que j’ai résolu de vivre à l’avenir sans aucun souci, et de me décharger sur Vous de toutes mes inquiétudes : « Pour moi, mon Dieu, je dormirai et me reposerai dans la paix que je trouve en Vous ; parce que Vous m’avez, Seigneur, affermi d’une manière toute singulière dans l’espérance que j’ai en Votre divine bonté » (Ps IV, 9-10).

Les hommes peuvent me dépouiller et des biens et de l’honneur, les maladies peuvent m’ôter les forces et les moyens de Vous servir, je puis même perdre Votre grâce par le péché ; mais jamais je ne perdrai mon espérance, je la conserverai jusqu’au dernier moment de ma vie, et tous les démons de l’enfer feront à ce moment de vains efforts pour me l’arracher : « Pour moi, mon Dieu, je dormirai et me reposerai dans la paix que je trouve en Vous… ».


D’aucuns peuvent attendre leur bonheur de leurs richesses ou de leurs talents,d’autres s’appuyer sur l’innocence de leur vie, ou sur la rigueur de leurs pénitences, ou sur le nombre de leurs aumônes, ou sur la ferveur de leurs prières : « Parce que Vous m’avez, Seigneur, affermi d’une manière singulière dans l’espérance… » : pour moi, Seigneur, toute ma confiance c’est ma confiance même ; cette confiance ne trompa jamais personne : « Sachez que jamais personne qui a espéré dans le Seigneur n’a été confondu dans son espérance » (Eccl. II, 11).

Je suis donc assuré que je serai éternellement heureux, parce que j’espère fermement de l’être, et que c’est de Vous, ô mon Dieu, que j’espère : « C’est en Vous, Seigneur, que j’ai espéré ; ne permettez pas que je sois confondu à jamais » (Ps. XXX, 2).

Je connais, hélas ! je ne connais que trop que je suis fragile et changeant, je sais ce que peuvent les tentations contre les vertus les mieux affermies, j’ai vu tomber les astres du ciel et les colonnes du firmament, mais tout cela ne peut m’effrayer : tant que j’espèrerai je me tiens à couvert de tous les malheurs, et je suis assuré d’espérer toujours, parce que j’espère encore cette invariable espérance.

Enfin, je suis sûr que je ne puis trop espérer en Vous, et que je ne puis avoir moins que ce que j’aurai espéré de Vous. Ainsi, j’espère que Vous me soutiendrez dans les tentations les plus violentes, que Vous ferez triompher ma faiblesse de mes plus redoutables ennemis ; j’espère que Vous m’aimerez toujours, et que je Vous aimerai aussi sans relâche ; et pour porter tout d’un coup mon espérance aussi loin qu’elle peut aller, je Vous espère Vous-même de Vous-même, ô mon Créateur, et pour le temps et pour l’éternité.
Ainsi soit-il !

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