Espérance : Septième Méditation


L’ESPERANCE  INVINCIBLE  :


« Sainte Thérèse de l'Enfant Jésus, modèle d'Espérance »
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  Abbé Régis de CACQUERAY
 

« La vertu qui fait le plus défaut dans la vie spirituelle c’est l’espérance ».
(1)


Toute la vie de sainte Thérèse de l’Enfant Jésus établit, par contraste, une exception nette et décisive de ces paroles. La main de Dieu se devine dans cette édification mystérieuse de la grâce où, sous une contradiction apparente, beaucoup de petitesse et d’impuissance s’allient à tant de grandeur et de victoire. Quel message la "petite" carmélite de Lisieux nous a-t-elle laissé ?


Thérèse de l'Enfant Jésus est venue nous rappeler, au nom de Dieu,
Que la sainteté est accessible à tous, à toutes les époques.
– Même à la nôtre –


Elle nous a donné un code de conduite pour être, dans son sillage, une antienne d’espérance dans le cantique de louange que, sans cesse sur cette terre, l’Eglise doit chanter au Christ, son Epoux.


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En 1897, à la mort de sœur Thérèse de l’Enfant Jésus, plusieurs carmélites qui avaient vécu à ses côtés, pouvaient confirmer les paroles de l’une d’entre elle : « Il n’y avait rien à dire sur elle ; elle était très gentille et très effacée, on ne la remarquait pas, jamais je ne me serais doutée de sa sainteté. » (2)


Neuf ans plus tard, son Autobiographie écrite sur ordre de sa Supérieure, l’Histoire d’une Ame, se trouvait sur le bureau du pape Pie X. Méditant longuement sur son message spirituel, il confia à l’occasion d’une audience privée qu’il pressentait qu’elle deviendrait « la plus grande sainte des temps moderne ». Et, signant le 10 juin 1914 le décret d’introduction de sa Cause, il déclarait : « Il est opportun d’introduire au plus vite cette cause de béatification. » (3)


Comment, en un temps si court, le jugement porté sur une obscure religieuse, morte très jeune, inconnue du monde, put-il évoluer de façon aussi impressionnante ? Benoît XV reconnaît lui-même que « le fait est absolument disproportionné avec le caractère humble et modeste de cette cause et dépasse de beaucoup la personne de la Servante de Dieu» (4).


Pour trouver la clef du mystère, il nous faut d’abord réaliser qu’à chaque génération, Dieu envoie les moyens de sanctification qui correspondent aux besoins et aux aspirations du temps marqué.


A l’aube des temps modernes, il était bien nécessaire de revivifier dans nos âmes les paroles du Seigneur : « Soyez saints parce que Je suis saint » (Lév. XIX, 2). Or, particulièrement aujourd’hui, il est indispensable d’insister sur ces paroles car, si l’Eglise a connu depuis sa naissance bien des combats et des épreuves, il ne semble pas qu’elle ait rencontré jusqu’ici une crise aussi profonde et universelle.

Sainte Thérèse de l’Enfant Jésus est née à une époque où la chrétienté, malgré la dévotion au Sacré-Cœur, conservait des relents de jansénisme, ce fils bâtard de l’hérésie protestante. Il en restait dans la spiritualité des traces de dessèchement, l’inclination à une sainteté de grandeur et d’ascèse extérieure et extraordinaire réservée à quelques héros de Dieu. La théorie de la sainteté avait comme oublié sa simplicité évangélique et l’impiété grandissante suscitée par le rationalisme n’allait pas tarder, insensiblement, à faire perdre aux baptisés le sens de la grandeur de leur vocation.

Née dans cette ambiance délétère et partagée, la Providence la plaça successivement dans deux sanctuaires qui permirent l’émergence et l’épanouissement de la grâce propre qu’Elle lui réservait : une famille de saints, puis le Carmel. La caractéristique commune et dominante de ces deux sanctuaires était déjà l’espérance : on y vivait plus selon les choses de l’éternité que selon celles du temps qui passe.


Sa vie ne fut pourtant ni exempte de souffrances, ni baignée d’illusion. Bien au contraire. Mais elle s’efforça toujours de vivre dans l’évidence de la possession anticipée du Ciel. Et cette fidélité devenait héroïque au fur et à mesure que les soutiens (familial et sacerdotal, santé, consolations spirituelles…) disparaissaient.


Comment cette évolution put-elle s’accomplir ? Comment franchit-elle cette Mer Rouge que chaque âme doit, un jour ou l’autre, traverser pour atteindre la Terre promise ?


Sainte Thérèse a peu à peu, et en même temps de façon très précoce, fait l’expérience de ses limites et de son impuissance. Elle a cherché sa voie en tâtonnant et aurait très bien pu se décourager. Tel un explorateur, elle a défriché le chemin que, plus tard, des millions d’âmes, à commencer par ses propres sœurs, emprunteraient.


Et ce chemin passe par l’humilité, par la confiance d’un enfant, jusqu’à l’audace dans la miséricordieuse bonté de Dieu, son Père. L’enfance spirituelle n’est ni quiétisme, ni présomption. Cette simplicité enfantine n’a d’enfantin que le nom car elle cache une réelle ascèse : celle de la petitesse. A l’ascétisme de grandeur qui lui semble inaccessible en raison de ses faiblesses, sous la motion du Saint-Esprit, elle a l’idée de substituer, non moins virile, l’ascèse de la petitesse par la fidélité persévérante pour l’amour de Dieu dans les obscures petites actions quotidiennes. « A l’extase, je préfère la monotonie du sacrifice » déclarait-elle…

A l’instar de la science moderne qui a découvert dans l’infiniment petit des atomes la source d’une énergie titanesque, sainte Thérèse a trouvé dans l’accomplissement fidèle et exemplaire des petites actions de la vie quotidienne l’accès à la charité surnaturelle qui vivifie tous les membres de l’Eglise et attire sur le monde la miséricorde de Dieu. « Dans le cœur de l’Eglise, je serai l’amour ».

Voie de petitesse, d’anéantissement qui évacue les actions extraordinaires pour laisser place au renoncement caché qui germe à l’infini dans les moindres occasions. Si, comme l’écrivait Pascal, « l’infini de grandeur est bien plus sensible » car il frappe nos yeux et notre imagination, l’infini de petitesse ne nous surprend pas : il nous échappe. Or, n’est-il pas écrit : « Celui qui est fidèle dans les petites choses, le sera dans les grandes » ? (Luc , XVI, 10).

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Dans une lettre qu’elle adressait au Père A.M. Martins en 1943, Sœur Lucie de Fatima relatait des paroles que Notre Seigneur lui avait adressées : « Le sacrifice qu’exige de chacun l’accomplissement de son propre devoir et l’observance de ma loi, voilà la pénitence que Je demande et que J’exige maintenant ». Plus tard, en 1957, au cours d’un entretien avec le Père Fuentès, elle lui disait : « Père, n’attendons pas que vienne de Rome un appel à la pénitence de la part du Saint-Père pour le monde entier (…) Non. Notre Seigneur a déjà utilisé bien souvent ces moyens et le monde n’en a pas fait cas. C’est pourquoi maintenant, il faut que chacun de nous commence lui-même sa propre réforme spirituelle. Chacun doit sauver son âme, mais aussi toutes les âmes que Dieu a placées sur son chemin… ».

Ces paroles ne sont-elles pas une invitation à mettre en pratique dans notre vie la vertu d’Espérance à l’école de sainte Thérèse de l’Enfant Jésus ? Sa spiritualité est providentielle pour notre temps. La déchristianisation du monde s’accélère, l’apostasie silencieuse gagne toutes les nations. Se prétendant capable d'instaurer le paradis sur la terre, c'est l'enfer que l’homme installe et d'abord dans les âmes. Humainement, la situation semble désespérée. Surnaturellement, elle est une invitation à nous rapprocher de ce géant de sainteté qu’est sainte Thérèse et à suivre sa petite voie d’enfance. Et si Dieu semble permettre que nous ayons de moins en moins d’appui extérieur pour notre foi, ne peut-on y voir une incitation divine à nous engager sur la voie de la sanctification ainsi tracée ?

Certes, sainte Thérèse n’a pas connu les difficultés propres à notre époque comme, par exemple, le modernisme et la liturgie conciliaire. Mais elle a laissé des exemples dans sa vie dont l’esprit, à défaut de la lettre, nous donne un véritable code de conduite à tenir pour porter des fruits surnaturels.


C’est ainsi que, se trouvant établie dans la délicate position d’aide officieuse auprès de la Maîtresse des novices du Carmel, elle dut un jour faire remarquer avec courage et délicatesse à une novice, au risque d’être mal reçue voire d’être renvoyée par la Prieure, son attachement trop naturel pour sa Supérieure.


Or, combien d’occasions Dieu ne nous donne-t-Il pas aujourd’hui de faire des actes de Foi au risque de déplaire voire d’être rejetés par notre entourage ?


Autre exemple trouvé dans la grande épreuve de la fin de sa vie : ses tentations contre la vertu de Foi. Elle sut pressentir la fécondité qu’une telle épreuve pouvait avoir en elle en reconnaissant, notamment, qu’elle avait purifié ainsi un désir du Ciel au départ trop mêlé d’intérêt propre. Car forte de sa confiance en Dieu, son espérance lui assurait que Dieu, qui est Père, ne peut que faire concourir toute chose au bien de Ses enfants qui L’aiment.

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Aujourd’hui, le témoignage silencieux de nos petites fidélités quotidiennes aux exigences de notre Foi est souvent, avant toute parole, la première lueur pour les âmes plongées dans les ténèbres intérieurs. Ces petites choses sont à la portée de tous. Dieu a voulu nous montrer par sainte Thérèse que par ce moyen d’action, il n’y avait aucune situation désespérée car ce qui compte n’est pas la grandeur de l’action mais l’intensité d’amour que l’on y met.

Le Seigneur attend nos dispositions de cœur.
Le décor n’est rien, le mérite n’est pas lié à la grandeur de l’acte.
Dieu nous a placé sur un champ de bataille : Il veut voir ce que nous allons faire.


Sainte Thérèse eut la première l’intuition qu’en se confiant en Lui, c’est Lui-même qui se réserverait de combattre pour nous. « Je puis tout en Celui qui me fortifie » disait saint Paul. Elle crut fidèlement que tous ces petits combats obscurs qui font la trame de notre vie auraient un jour un grand retentissement dans ce monde et dans l’autre. En effet, après sa mort ce fut l’ouragan de gloire : « O mon Dieu ! Une vie employée à des choses si petites et qui pourtant est si grande à Vos yeux ! Faut-il que nos petites choses, faites avec amour, vous soient si précieuses. » (5)


Avec ma bénédiction...



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(1) - RP Faber in : Père Liagre, Retraite avec sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus.
(2) - Mgr Guy Gaucher, Histoire d’une vie, Thérèse Martin.
(3) - Père Jean Vinatier, Mère Agnès de Jésus.
(4) - Benoît XV, Actes.
(5) - Sœur Marie de l’Eucharistie, Notes intimes, 1937.

 
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